Après les murs et les perches, la prochaine étape en menuiserie est la fabrication du toono.
Image empruntée à Nicolas
C'est une pièce assez impressionnante : nous faisons le choix d'un anneau de 190 cm de diamètre extérieur, de section 10 cm x 10 cm. C'est également une pièce complexe : un large anneau de bois, percé à 106 reprises avec un angle quelconque. Enfin c'est un point qu'il ne faut pas rater : le toono concentre un grand nombre d'efforts et joue le rôle de clé de voute. S'il rompt, la yourte s'effondre (mais ce n'est pas la seul cause d'effondrement possible. Voir par exemple ce billet du site Yourtao).
Dimensionnement
Un dessin valant mieux qu'on long discourt, voici un plan de notre toono, avec, au centre, une coupe de la section.
Circonférence
Le toono doit recevoir 106 perches sur sa circonférence. Il faut aussi suffisamment espacer les trous pour ne pas trop l'affaiblir. On peut par exemple espacer chaque trou du double du diamètre d'une perche. Donc, compte tenu que les bouts des perches font 3 cm de diamètre, si on fait 106 x 3 x 2, on trouve que la circonférence du toono doit être d'environ 2 m.
Pour adapter parfaitement le toono à la toile intérieure cousue, et parce que on peut se permettre de resserrer un peu les trous, nous choisissons un diamètre extérieur de 190 cm.
Section
Stratégie de dimensionnement
C'est globalement très compliqué de dimensionner quoi que ce soit sur une Yourte, par le calcul : notre science n'est pas tellement prête à considérer des structures légères (très distribuées) de bois (matériau hautement anisotrope) lié par de la ficelle.
Donc, une stratégie qui fonctionne très bien dans le bâtiment est la suivante : faire confiance aux anciens et à l'expérience. C'est ce que nous avons fait lorsque nous avons choisi la taille des lattes de notre treillis, et celle de nos perches.
On peut cependant, pour le toono, proposer le critère mécanique suivant : celui-ci doit être au moins aussi résistant à la flexion que la somme des perches, puisque dans tous les cas, ce sont les perches qui vont transmettre les efforts. Aussi, sachant que le toono est un anneau, sa section est comptée deux fois car chaque coupe diamétrale du toono fait apparaitre deux sections qui peuvent travailler mécaniquement.
Résistance à la flexion
Lorsque vous prenez un réglet métallique ou une règle plate, vous avez tous fait l'expérience que celle-ci se courbe facilement dans la direction du coté fin, alors que le coté large est particulièrement rigide. Pourtant, dans les deux cas, il s'agit de la même règle et de la même quantité de matière. La différence ? La géométrie de l'objet est différent. En effet, en fonction de l'agencement spatial de la matière, un objet peut résister plus ou moins à la flexion.
Les mécaniciens caractérisent cette résistance à la flexion par une grandeur nommée « moment quadratique de flexion » (attention aux intégrales, âmes sensibles s'abstenir).
Moment quadratique des perches
Le moment quadratique d'une section circulaire se calcule ainsi :
Iₚ = π D⁴ / 64
Donc, la somme des 106 perches offre le moment quadratique suivant :
𝚺Iₚ = π D⁴ x 106 / 64 ≃ 4,2 x 10⁻⁶
(L'unité d'un moment quadratique est le m⁴, mais ce n'est pas essentiel au raisonnement.)
Toutefois, il faut tenir compte que les perches ne sont pas alignées mais disposées en rond. La contrainte est donc à minorer par la moyenne du sinus entre 0° et 180°, qui vaut 2/π (soit environ 0,64), pour tenir compte du désalignement des perches. Donc la contrainte transmissible par la somme des perches est :
𝚺Iₚ = π D⁴ x 106 / 64 / π x 2 = D⁴ x 106 / 32 ≃ 2,7 x 10⁻⁶
Moment quadratique du toono
Le toono a une section carrée, de 10 cm x 10 cm. Le moment quadratique d'une section carrée se calcule ainsi :
Iₜ = l x h³ / 12
Donc, notre toono offre la résistance suivante :
Iₜ = 0,1 x 0,1³ / 12 ≃ 8,3 x 10⁻⁶
Soit plus de 6 fois la somme des contraintes transmissibles par les perches, en comptant les deux sections du toono. Le cahier des charges est donc largement respecté.
Influence du perçage
Le lecteur assidu fera la remarque suivante : « Vous ne comptez pas les trous que vous faites dans le toono, il sera en réalité beaucoup plus faible que cela ». Effectivement, c'est une bonne remarque.
Mais en fait, ce qui compte vraiment pour abtenir un moment quadratique élevé, c'est la matière éloigné du centre de la section. C'est pour ça que en construction, on préfère toujours si possible des tubes, carrés ou ronds, ou des poutres en « I » ou « H » plutôt que leurs homologues pleins : à solidité égale, les profilés creux emploient beaucoup moins de matière. C'est aussi ce qui explique l'exceptionnelle efficacité des constructions de Eiffel.
On peut illustrer ça de la façon suivante. Les moments quadratiques ont la propriété sympatique de pouvoir s'additionner et se soustraire : deux poutres mises cotes à côtes sont à elles deux deux fois plus résistantes que considérées seules. Alors, si on considère par exemple le moment quadratique « perdu » par le trou, en approchant le trou par un rectangle d'un tiers de la hauteur de la section, on obtient :
I₀ = l x (1/3 h)³ / 12 ≃ 0,3 x 10⁻⁶
C'est ridicule par rapport à la valeur Iₜ obtenue plus haut. Mais quitte à en faire part ici, une valeur plus proche de la réalité pour le moment quadratique du toono est la suivante :
Iₜ = 0,1 x (0,1³ - 0,03³) / 12 ≃ 8,1 x 10⁻⁶
Ce calcul n'est pas encore tout à fait exact car les trous sont en diagonale, mais je ne veux pas alourdir plus le propos ici : j'invite le lecteur sceptique à calculer le moment quadratique du profil et vérifier qu'il ne dépasse pas celui cumulé des perches.
Influence du collage sur la solidité du toono
À notre connaissance, un collage réalisé dans de bonnes conditions avec une colle vinylique moderne possède une résistance supérieure à celle du bois.
Assemblage
Comme on ne le voit pas sur notre plan, nous allons empiler des couches de bois de 25 mm d'épaisseur. Chaque couche sera composée de 10 segments de bois contenus dans un rectangle de 16 x 60 cm, ce qui nous permet de fabriquer notre toono avec les planches sciées l'été dernier.
Il ne reste plus qu'à s'y mettre : découper un gabarit, découper les planches, rabotter les planches, poncer les bords, assembler les couches à la colle, faire les trous et faire la finition du tout.
Vous aurez les photos dans un billet prochain.
François